La libéralisation des marchés financiers a notamment entraîné une évolution des normes comptables (1), avec des conséquences financières importantes (2).
Réalisation par Ludovic Delion
Table des matières
Ludvoci Delion : L’évolution des normes comptables
Le phénomène de libéralisation du secteur financier a suscité un fort engouement des Américains pour les activités boursières. En 1854, 200 000 personnes, issues des classes plutôt aisées, avaient investi en bourse, contre 1,2 million en 1893, 4 millions en 1900, 12 millions en 1920, 18 millions en 1928, 21 millions en 1965, 42 millions en 1983 et près de 72 millions en 2003, représentant environ la moitié de la population adulte[1].
Les États-Unis ont mis en place un régime de retraite mixte, parallèlement à des systèmes publics par répartition[2]. Des fonds de pension ont également vu le jour, lesquels sont devenus, avec d’autres investisseurs institutionnels, des acteurs majeurs du mouvement de globalisation du secteur financier. En effet, ils poussaient les entreprises à optimiser le rendement de leurs investissements, l’objectif de « rentabilité financière prenant le pas sur toutes les autres logiques dans la définition de leurs orientations stratégiques »[3].
La législation américaine a soutenu également cette évolution. En 1974, la loi fédérale ERISA[4] et des directives du ministère du Travail[5] ont instauré la règle de l’intérêt exclusif[6], qui exigeait que les fonds de pension agissent uniquement dans l’intérêt de leurs bénéficiaires, assimilés à des actionnaires. Celle-ci excluait certains aspects sociaux, comme les prêts à taux bonifiés pour les salariés ou le financement de logements sociaux, mais aussi des notions plus économiques, comme la sécurité de l’emploi[7]. Depuis lors, les fonds de pension et les compagnies d’assurance ont pour objectif d’augmenter la rentabilité à court terme de leurs placements, ce qui pourrait faire passer au second plan l’intérêt à long terme des entreprises concernées.
Les entreprises ont, depuis cette date, fait l’objet d’une financiarisation. Les actionnaires avaient donc le choix entre investir ou se retirer du capital des sociétés en s’appuyant seulement sur les tendances des marchés boursiers. Il en a découlé que « la rotation moyenne des actions dans les pays de l’OCDE, qui était de cinq ans à la fin des années 1960, est tombée à cinq mois à la fin des années 2000, sachant que cette logique dévoyée ne [pouvait] se déployer que grâce à des règles de gouvernance tendant à aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires, telles que des rémunérations “salariales” déterminées dans une surenchère d’une entreprise à l’autre, distribution d’options gratuites sur les actions, retraites-chapeaux et autres avantages arbitraires. Autrement dit, les entreprises [n’étaient] plus gérées que dans l’intérêt des actionnaires, les dirigeants de ces sociétés devenant des mandataires chargés de maximiser à court terme le profit des investisseurs »[8].
Ces évolutions ont naturellement eu des incidences sur le secteur bancaire et financier.
Les conséquences financières de l’adoption de ces normes
Les principes qui prévalaient dans le système comptable américain ont été remis en question en faveur d’une évaluation des actifs en valeur de marché. En 1973, la SEC a confié la création de nouvelles normes au Financial Accounting Standards Board[9] (FASB), un organe indépendant. De 1978 à 1985, celui-ci a produit six études, les Statements on Financial Accounting Concepts (SFAC), qui ont marqué une rupture dans le domaine financier aux États-Unis. Ainsi, le résultat comptable ne correspondait plus à la différence entre les produits et les charges, mais à « la différence entre le niveau des capitaux propres en fin et en début de période (hors transactions avec les actionnaires) »[10]. L’évaluation des actifs ne devait plus se faire en fonction du coût historique (c’est-à-dire en fonction des prix de transaction passés) mais de leur juste valeur (c’est-à-dire en valeur de marché). L’objectif était que les investisseurs puissent mieux appréhender le risque lié aux entreprises.
Cette évolution comptable a permis aux actionnaires de renforcer leur pouvoir de contrôle des entreprises cotées, qui, jusque-là, était l’apanage des banques et des dirigeants. Dès les années 1990, le système financier a commencé à connaître des périodes d’instabilité, avec des retombées sur les marchés de capitaux et, plus généralement, sur les sociétés du monde entier. Celles-ci avaient tout intérêt à emprunter sur les marchés, car elles pouvaient ainsi diminuer leurs fonds propres en augmentant leurs dividendes. Les banques les ont alors poussées à s’endetter, car elles pouvaient titriser les crédits accordés et les sortir de leurs bilans.
Les normes financières ont ensuite dépassé les frontières américaines pour se répandre dans le monde, avec le soutien des organismes internationaux.
La propagation des règles financières avec le soutien des organismes internationaux
Toute réglementation implique une distance entre l’État qui la construit et les acteurs à qui elle est destinée. Mais, dans le domaine financier, cette logique a été remise en question, car le concepteur de la norme était soupçonné d’agir dans son propre intérêt. En effet, dès lors « qu’un État doit faire massivement appel aux marchés de capitaux, il perd sa légitimité, voire sa capacité, à les réguler. De même, dès lors qu’un État, ou toute autre collectivité publique, détient une participation dans le capital d’une institution financière ou peut intervenir dans sa gestion, sa légitimité à réguler le secteur bancaire en est affectée »[11]. Ce constat justifie que les États aient confié à des organes indépendants la tâche de créer des règles financières, d’autant plus que « l’indépendance envers le pouvoir politique de l’autorité rassure les marchés et les protège d’une gestion partisane »[12]. C’est ainsi que le Comité de Bâle est devenu, au fil du temps, l’une des principales instances internationales d’élaboration des normes financières (1). Il a aussi contribué à la généralisation progressive des méthodes comptables anglo-saxonnes (2).
Le document est réalisé par Ludovic Delion – Sources
[1] M. VAN DER YEUGHT, « Les professionnels de Wall Street, intermédiaires légitimes ou illégitimes entre le grand public et le rêve américain ? », ASP, 2006, §17.
[2] Fondés en 1935 sous le mandat de Roosevelt (OASI : Old Age and Survivors Insurance) et complétés en 1956 par une assurance invalidité (DI : Disability Insurance).
[3] M. AZUELOS, « La relation spéciale entre le Royaume-Uni et les États-Unis à l’épreuve de la mondialisation économique », Atala, n° 13, « Le Royaume-Uni : culture et identités », 2010, p. 249-268.
[4] Employee Retirement Income Security Act.
[5] Departement of Labor, DOL.
[6] Exclusive benefit rule.
[7] S. MONTAGNE, « Pouvoir financier vs pouvoir salarial. Les fonds de pension américains : contribution du droit à la légitimité financière », Annales HSS, n° 6, nov.-déc. 2005, p. 1299-1325.
[8] M. AGLIETTA, X. RAGOT, « Érosion du tissu productif en France : causes et remèdes », document de travail de l’OFCE, février 2015, en ligne sur le site de l’OFCE.
[9] Comité des normes comptables et financières.
[10] Académie des sciences et techniques comptables et financières, « La normalisation comptable : actualités et enjeux », actes de colloque, Paris, Université Paris Ouest, 2014, p. 82.
[11] P.-H. CASSOU, « La réglementation bancaire, entre intérêt général et intérêts particuliers », in H. BONIN, J.-M. FIGUET (dir.), Crises et régulation bancaires, Suisse, Droz, 2016, p. 243-269.
[12] D. TRUCHET, Droit administratif, 4e éd., Paris, PUF, 2011, p. 372.
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